De la nécessité de ne pas imposer le costume
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C'est un fait, le vêtement classique masculin ne renvoie plus aux mêmes choses qu'il y a cent ans. Choisir le costume est un acte qui n'incarne plus les mêmes idées. La notion d'élégance connaît ainsi une mutation qu'il serait difficile de décrire en quelques mots seulement. En somme, les systèmes de valeurs, les canons esthétiques et sociaux, tous ces éléments changent de visage, et dans ce contexte, le sartorialiste peut être un peu déboussolé. Une question en particulier me rend assez perplexe. Il a récemment été question à l'Assemblée Nationale d'abandonner le costume, et paradoxalement, la réponse à donner me semblait tout sauf évidente.
Je crois que beaucoup d'adeptes de l'art tailleur ont jugé pertinent d'affirmer que le costume était un héritage formel non-négociable. Sans doute ont-ils en partie raison. Mais quel sens y a-t-il à imposer coûte que coûte à nos représentants une tenue que, vraisemblablement, ils ne savent plus porter ? A l'époque où ce vêtement était encore compris, où la majorité de la société l'arborait, il semblait naturel de le conserver pour exercer une fonction politique (et en réalité beaucoup d'autres métiers). Mais comment ne pas sentir un décalage à présent ? Le problème n'est même pas tant que le costume serve à départager les conservateurs et les progressistes, la droite et la gauche ; car il faut bien le reconnaître, ce ne sont pas forcément ceux qui le défendent qui le portent le mieux.
Hugo Jacomet avait expliqué à l'occasion de cette polémique que c'était avant tout l'idée d'effort qui comptait. Je suis plutôt d'accord avec cela. Entendons-nous : personne ne demande à nos élus de passer une heure à réaliser un layering abouti chaque matin. L'idée est plutôt d'attendre de leur part un minimum de réflexion vestimentaire, qui prenne au moins en compte le degré de formalisme exigé par les circonstances, ainsi que la qualité du vêtement. Si je dois résumer mon opinion sur la question, je dirai que je renvoie dos à dos le costume et le t-shirt s'ils sont en polyester. Je préfère un député arborant une belle surchemise en velours côtelé à un député qui croit mieux respecter sa fonction alors qu'il a un costume en fibres synthétiques.
Mon propos a ses limites, puisqu'il renvoie nécessairement au critère toujours incertain du bon goût. L'ouverture à des tenues différentes du costume semble néanmoins élargir suffisamment le champ pour permettre à chacun d'exprimer sa vision de l'élégance. Je dis élégance à dessein. Si je conçois une certaine liberté vestimentaire, cette dernière ne doit cependant pas occulter la part d'obligation qu'impliquent une fonction ou un statut. Cela relève d'un présupposé qui ne sera pas partagé de tous, et je laisse le débat ouvert. En ce qui me concerne, mon système ne se limite pas au domaine institutionnel. Qu'il s'agisse de rendez-vous professionnels, de mariages ou d'enterrements, je trouverai toujours plus judicieux que mes proches ou mes interlocuteurs privilégient une tenue sobre et efficace à l'achat d'un mauvais costume.