Nous ne sommes pas des dandys

BILLET

Léon Luchart

11/27/20221 min read

Notre idéal est ailleurs, notre jouissance trop intense, trop pleine pour nous maintenir à la surface des choses. Nous ne voulons ni des copies fantoches qui se réclament du seul passé, ni des modernes ne connaissant rien au beau. Nous exigeons, clamons, exaltons la valeur de l'ivresse hissée au rang d'esthétique. Nous aspirons à nous maintenir dans ce flot tourbillonnant de délices, enivrant de volupté, dans lequel nous avons plongé autrefois, au moment de choisir cette autre vie.

Le vêtement est infiniment plus qu'une simple parure, plus qu'un vulgaire ornement à valeur sociale. Passez donc une vraie cravate que vous aurez appris à nouer, et vous saurez. Le vêtement est une sorte d'entité magique, qui vient vous couvrir comme une seconde peau, et s'emparer de votre vie. Vous devenez alors enfin celui que vous vouliez être. Vous vous reconnaissez dans la glace, et le miroir vous dit : "Qu'attends-tu ?".

Dès lors, l'urgence vous saisit. Non pas le sentiment d'une panique existentielle — plutôt un élan intérieur qui vous pousse à vivre. Vous vous lancez avec abandon dans un quotidien dont vous n'accepterez plus les règles sans leur imposer quelques légers caprices.

Ce que nous convoitons, nous nous donnons le moyen d'y accéder, ce que nous admirons, nous apprenons à le dépasser. Nous n'avons ni le temps, ni le besoin de nous rendre aussi odieux que ces illustres ancêtres que furent les dandys. Notre chemin s'élance droit devant ; aussi, quel fou penserait à regarder du côté de la Monarchie de Juillet ou de Proust ? Le dandysme est un miroir dont notre époque n'a conservé que quelques rares éclats - et c'est tant mieux. Nous jouons avec les codes, renversons subtilement les injonctions des puristes. Les prises de liberté fleurissent sur nos boutonnières. Nous nous moquons absolument d'être compris.

Qu'on se le tienne pour dit, l'existence moderne est prisonnière d'un affreux carcan, et nous avons choisi de le répudier. C'est pour cela que nous allons plus loin que les dandys, ces fantômes voués à devenir leur propre caricature.